LE REVE AMERICAIN A BEAUBOURG


Je suis à Beaubourg, dans mon atelier. Je sors de l'UGC Ciné Cité des Halles. Depuis quelques semaines je vais au cinéma seule à la séance du matin. C'est mon rendez-vous avec mon artiste intérieur. C'est un exercice fondamental du programme de Julia Cameron pour libérer sa créativité. Ecrire trois pages tous les matins et faire quelque chose de ludique, seule, une fois par semaine (on a même le droit d'en faire deux !!!). Un truc qui nous plaise vraiment. J'ai eu beaucoup de mal avec ça au début. Qu'est-ce qui m'excite vraiment, moi ? Mes blocages favoris ont toujours été le travail et la famille. Je me sens bien quand je bosse et quand je suis immergée dans un cocon de gens que j'aime. J'ai pensé à la marche à pied. J'adore marcher dans la nature mais ça me fatigue après et je ne peux plus bosser. Alors je me suis tournée vers le cinéma. J'ai commencé à Dinard. J'ai vu "Wild Rose", l'histoire d'une jeune anglais passionnée de Country qui est bloquée dans sa vie. En rentrant à Paris j'ai vu "Les hirondelles de Kaboul", le dessin animé de Zabou Breitman et Elea Gobbé-Mévellec adapté du roman de Yasmina Khadra. En lisant la bio de Zabou Breitman et Yasmina Khadra j'ai découvert qu'ils portent tout deux un nom d'artiste comme on porte une revendication. La semaine dernière j'ai été voir un film documentaire sur Yayoi Kusama. J'adôre ! J'ai été très en colère contre la société qui lui a fait endurer de nombreuses souffrances (et maintenant ils font la queue pour voir ses oeuvres). Et ce matin "Music of my life". L'histoire d'un écrivain anglais d'origine pakistanaise qui s'autorise à exprimer ce qu'il a au fond des tripes grâce aux chansons de Bruce Springsteen !
De tous c'est celui qui m'a fait le plus pleurer. Lorsqu'il lève timidement la main en cours d'écriture quand la prof interroge "Qui veut devenir écrivain ?" j'ai levé la main et souris à la toile. Son écriture se développe, des gens lui viennent en aide, il trouve les mots pour dire la complexité de ce qu'il voit. Le chômage, la guerre dans le monde, sa famille et son père en particulier, ses amis, les années 80. Il considère ce qu'il fait comme de la merde.
- oui mais c'est votre merde, lui dit sa prof.

On le voit se construire pas à pas, s'affirmer. Un voisin qui paraissait menaçant, dont on se demande s'il est raciste ou pas, vient le féliciter quand il tombe sur un de ses textes engagé. Le jeune homme découvre qu'il y a une communauté prête à l'écouter, à partager ses émotions, à le soutenir, à le féliciter et même qu'il peut en vivre mais surtout en tirer la source de son plaisir.
- How come ? est la question qui m'est venue à l'esprit.
- How come je n'ai jamais couru dans la rue avec cette joie puissante ?

Je veux cette joie, je veux son meilleur ami Sikh, je veux faire mille kilomètres pour écouter les paroles de quelqu'un qui font bondir mon coeur de plaisir. Je veux écrire et être lue. Je veux le rêve américain à Paris et je l'ai.

- Today I pay my tribute. Tribute to Julia Cameron qui m'a appris à ne pas être pingre avec mon artiste intérieur. On apprend aux enfants la générosité envers les autres. J'apprends la générosité envers moi-même. Je vais BIEN. J'écris, je peins, je chante et je vais BIEN. Si je veux vraiment être généreuse avec moi-même je vais m'offrir la joie de partager ce texte avec vous. Je n'ai pas de plus beau cadeau à faire que mes mots. J'ai cru qu'ils m'avaient trahie mais c'est moi qui les ai abandonnés dans un placard étroit et sombre.

Quand j'étais adolescente, je séchais les cours. Je peux le dire maintenant, j'ai 40 ans et je n'ai plus besoin de me cacher. Mes parents ne l'ont jamais su, ni l'école, ni personne. Je séchais la journée entière et le lendemain je donnais un faux mot d'excuse en imitant la signature de mes parents (celle de mon père qui est si facile à reproduire). Je sais qu'il va lire ça. Désolée papa.

Je séchais une école qui m'asséchait. Je n'y apprenais rien de ce que je recherchai. Je cherchais sans aucun doute Bruce Springsteen, et un ami Sick et une prof d'écriture créative bienveillante. J'ai tenté d'aller au cinéma une fois. J'ai très mal choisi mon film. C'était une comédie française avec Josiane Balasko qui portait une robe en forme de coeur. Sa robe était rose fushia. Combien j'ai haïs cette pauvre robe rose fushia ! La pauvre Josiane. J'aurai du rire de son film et rire de mon erreur mais je cherchais si intensément une porte de sortie que cet échec m'a paru significatif. J'ai essayé de fréquenter un bar ou deux qui me semblaient "artistes". Mais je n'avais que mon désespoir, mon film raté et l'échange du barman avec son fournisseur de Jupiler à raconter. Je suis rentrée tête basse, le coeur en miette chez moi. Mieux vaut l'école que cette solitude dangereuse dans la ville. D'instinct il ne me semblait pas très prudent de me promener le coeur blessé en bandoulière.

Depuis que je fais ces séances de cinéma, chaque choix de film que je fais personnellement, sans demander l'avis de personne, en suivant mon propre instinct se révèle bon. J'ai conscience de réparer mon rendez-vous raté avec "la vie" que je voulais. La semaine prochaine j'irai peut-être voir le film de Céline Sciamma, "Portrait de la jeune fille en feu". Ou j'irai tirer à la carabine. J'ai toujours aimé tirer avec une arme à feu. Je donnerai tout à cet artiste qui est en moi et qui a la chance de pouvoir s'exprimer. Je lui donne mon amour, l'autorisation et le pouvoir. Je lui donne la vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire